Nous voici de retour pour le « mot du mois » : le keffieh…et le shemagh !

Nous allons aujourd’hui nous intéresser aux incontournables accessoires vestimentaires locaux : le Keffieh et ses faux-jumeaux le Shemagh et le Mandil ! Le keffieh…grâce à feu Yasser Arafat, tout le monde connait. Le shemagh, par contre, c’est généralement plus compliqué.

Un petit test sur GOUGLE ne clarifie pas vraiment la chose:

De gauche à droite :  recherche des mots « Keffieh », puis « Shemagh »,  et enfin « شماغ » (écriture arabe de shemagh).

Ce qui nous intéresse ici, c’est la culture arabe et bédouine...Que conclure de cette recherche? Qu’en « occident », les termes « keffieh » et « shemagh » sont plutôt assimilés à des foulards noirs, blancs, vert kaki, beige…et plutôt dans une logique militante voire combattante : les images parlent par elles-mêmes.

Alors que lorsqu’on se plonge directement dans la langue arabe (شماغ), on retrouve ce foulard rouge et blanc porté par presque tous les hommes ici en Jordanie !

Quelle est leur histoire ?

Comment lever cet insondable mystère? Comme souvent : beaucoup par l’Histoire, un peu par  l’actualité.  Keffieh, Shemagh, Mandil….c’est kif-kif? Les termes « keffieh » et « Shemagh » désignent des bouts d’étoffes, destinés à être portés par les hommes, au Proche et au Moyen orient.

Pour les femmes, c’est différent, mais ne vous inquiétez pas, il est probable que d’ici quelque temps, on fasse un post « girl-friendly » destiné à vous présenter les attributs féminins islamiques en Jordanie . Hidjab, niqab, abaya, jilbab, etc, etc… N’en jetez plus, ce n’est pas le choix qui manque!

Réglons dès à présent le cas du « Mandil ». Ce terme arabe signifie « serviette, mouchoir ». En fait, il désigne un morceau de tissu ou d’étoffe. Donc, par extension, aussi ce qu’on peut mettre autour de la tête.  A Petra ou dans le Wadi Rum, vous entendrez autant ce terme que celui de shemagh.

Femmes ou hommes, le fait de porter une coiffe remonte à l’époque pré-islamique, et même dès l’antiquité, dans ce qu’on appelle la Mésopotamie. C’est à dire,  grosso modo l’Irak, l’est Syrien, le Nord de l’Arabie Saoudite, un bout de Jordanie, une partie de la Turquie…

Tout cela ne nous rajeunit pas, puisqu’on parle d’une civilisation dont les prémices remontent à  4000 ans avant JC. Les sumériens, les acadiens, ça vous parle? oui? parfait. Connaissez vous Sargon et Gudea? Non? c’est normal. Les voici, Sargon et Gudea. Les parisiens pourront passer leur dire bonjour au musée du Louvre si ça leur chante.

Sargon était le premier roi dit « sémite » (c’est à dire , parlant une langue sémitique – arabe, hébreu, maltais, etc… en font partie) , tandis que Gudea était , quant à lui, « prêtre-roi ». Tous les deux officièrent vers 2300-2200 avant JC.  Pourquoi évoquer ces deux figures historiques? juste pour vous montrer que le port d’une coiffe pour homme dans ce qu’on appelle aujourd’hui « Moyen-Orient » remonte à la nuit des temps…et que, même de nos jours , le keffieh et le shemagh ne sont que les lointains avatars d’attributs qui, déjà 4000 ans avant l’ère du Bitcoin, étaient teintés de respectabilité et de pouvoir.

On notera au passage que leur coiffe ressemble déjà étrangement à un keffieh/shemagh noué autour de la tête, comme le font aujourd’hui les bédouins (ne prêtez pas attention au gars de droite, il n’a visiblement rien compris au port du shemagh, c’en est à pleurer):

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2 bédouins et un touriste

Et quelle symbolique ?

Plus tard , la civilisation islamique, née sur les mêmes terres, a repris ces attributs coutumiers. Et d’ailleurs, le thème de cet article porte sur le tandem keffieh/shemagh . Mais le monde arabo-musulman fourmille de différents types de coiffes : la ghutra dans le Golfe ,  le « hatta » en Arabie Saoudite, le muzzar à Oman/Yemen…

Mais pourquoi donc le keffieh et le shemagh intègrent tous deux des motifs entrecroisés, ressemblant plus ou moins à un filet de pêche, ou à un épi de blé stylisé ? Mais parce qu’il symbolise précisément…un filet de pêche ou un épi de blé! Enfin, peut être, car cette thèse est discutée.. Mais une hypothèse possible sur l’origine des motifs remonte précisément à l’époque sumérienne, ou le shemagh des notables était un symbole d’abondance. D’où la symbolique alimentaire.

Enfin, keffieh comme Shemagh sont normalement maintenues sur la tête grâce à un double anneau de cordelette, appelé iqal (ou agal), traditionnellement fabriqué en poil de chèvre. Vous voulez un peu d’ambiance far-west? OK. Il semblerait qu’historiquement, cet agal servait à fouetter les dromadaires récalcitrants à aller un peu plus vite. Mais aussi, l’agal était utile pour attacher ensemble les 2 pattes avants lorsqu’on ne souhaite pas que ledit dromadaire se carapate en douce pendant que l’on se déguste un thé sucré à la menthe .

Aujourd’hui cet accessoire est un véritable marquant social. Son prix varie d’un facteur 10, selon qu’il soit constitué de bêtes fils synthétiques, ou bien de laine tressée et tissée de fils d’or.

C’est quoi un Keffieh?

Le Keffieh (en anglais, « Keffiyeh, en arabe « كوفية » , ça se prononce « KOUFIYYA ») est en fait la coiffe traditionnelle portée au Levant, et tout particulièrement dans la Palestine, mais aussi chez les turcs, les kurdes…. Certains étymologistes pensent que l’origine du mot vient de Koufa, une ville situé en Irak, même si cette thèse est loin de faire l’unanimité. Mais ce n’est pas grave, vous pouvez quand même sortir cette anecdote lors de vos soirées entre amis, c’est stylé.

Au passage, plusieurs noms de tissus sont originaires du monde arabe, les tisserands du cru étant très réputés : mousseline (Mossoul), Alepine (Alep), baldaquin (Baghdad), caban… Le keffieh sert à protéger du soleil, de la poussière, du froid, et il est porté par les ruraux, les paysans, qui sont exposés aux éléments. Les citadins et les représentants de la haute société, eux, portent plutôt le fez, ou le tarbouche, héritage de l’empire ottoman, lui-même repris de la Grèce antique. Et en effet, porter le fez, ça en jette. Surtout si on sait jouer de la mandoline en même temps :

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Cassons ici une idée reçue : non, le keffieh n’est pas particulièrement noir et blanc, et , non, ce n’est pas un apanage palestinien. Et ce, au moins jusqu’aux années 1930. C’est c’est ici que s’arrête l’histoire..et que commence la géopolitique contemporaine.

Car en 1936, commença la grande révolte arabe initiée par Izzal-Din al-Qassam, en grande partie inspirée par un mouvement nationaliste, et anticolonialiste à l’encontre des Britanniques. oui, encore eux. Je n’y suis pour rien, c’est comme ça !  Et c’est ainsi que le haut comité arabe encouragea à abandonner le tarbouche au profit du keffieh. Dès lors, les insurgés palestiniens s’approprièrent cet outil, bien pratique quand il s’agit, par exemple, de dissimuler son visage face aux opposants..

La force du symbole : Yasser Arafat !

Et puis, le keffieh, c’est un véritable symbole arabe, alors que le tarbouche/fez, lui, restait encore assimilé à l’empire ottoman fraîchement disparu. Du simple » apanage traditionnel, on passa alors à la manifestation politique du nationalisme arabe. Nul doute alors que 30 ans après, le jeune Yasser Arafat décida d’arborer en permanence le keffieh assorti de l’agal : un symbole était né. Et ce symbole, vu de l’occident, était celui de la contestation d’un ordre établi, au delà de la simple aspiration des Palestiniens à avoir leur propre nation.

Conclusion : le keffieh n’est pas historiquement spécifique à la Palestine. par contre, par construction, il est désormais assimilé à la Palestine, dont le chef de l’OLP ne fut pas le moindre représentant…Et il a choisi d’arborer le modèle traditionnel noir et blanc, là ou d’autres ont préféré adopter différentes combinaisons de couleurs pour se démarquer : Hamas et brigades al Qassam plutôt en vert et blanc, ceux du FPLP, le modèle rouge et blanc…

Pour l’anecdote (encore une à sortir en soirée ! vous allez monopoliser la conversation à table !  ) , sans doute parce qu’il véhicule une image puissante, le keffieh à fait l’objet de plusieurs tentatives pour en faire un contre-symbole, ou un objet de financement de la cause palestinienne , comme le montre cet article tiré d’un blog francophone.

C’est ainsi qu’on peut trouver assez facilement des keffieh israéliens bleus et blancs avec l’étoile de David, ou encore multicolores, ou enfin « made in Palestine » dans le but de relancer le commerce local. Car je ne vous l’ai pas dit jusqu’à présent, mais il est en effet fort probable que le keffieh « lambda » trouvé dans votre échoppe du coin soit estampillé « 100% viscose, made in China ». Et de 16 tisserands palestiniens en 1990, nous en sommes passés à un seul en 2015…pas glop. A ce sujet, lire sur Middle East Eye ce très intéressant article sur la famille Hirbawi à Hebron, la toute dernière entreprise palestinienne de keffiehs…

Enfin, le Keffieh,  devenu objet de mode, se voit aussi parfois réinventer…et ça fait grincer quelques dents  ! Je vous laisse découvrir l’article.

Beaucoup d’agitation autour du Keffieh, donc…je vous passe les innombrables sites donnant des consignes sur le « bien » ou le « mal » qu’il y a à porter le keffieh, tellement il est porteur de symboles. Symboles politiques et religieux sur le plan régional, évidemment, et aussi symboles contestataires pour ce qu’il représente en tant qu’objet.

C’est quoi un Shemagh?

Le Shemagh (en dialecte jordanien, on dit : SHMAAR) est la coiffe traditionnelle bédouine. Ses fonctions sont les mêmes que le Keffieh : il sert à se protéger des éléments. Il est revanche fait d’un coton beaucoup plus lourd, parfois complété de laine pour faire le poids et augmenter sa résistance à l’environnement.

Si les teintures rouges n’ont rien de récent, le Shemagh traditionnel, lui, est plutôt blanc, vert, beige, blanc…Tout sauf rouge. C’est en fait grâce aux britanniques que le shemagh rouge et blanc est finalement devenu un des emblèmes du pays. Lawrence d’Arabie, ça vous parle? nous y voila !

C’est pour reconnaître les partisans de la révolte arabe que le gouvernement de sa majesté décida en 1916 de produire massivement des shemaghs rouges et blancs. Il semblerait que la première fabrique de shemaghs se situait à Manchester..Au fil du temps, au moins en Jordanie et au Nord de l’Arabie Saoudite, ceux-ci ont fini par infuser au sein du patrimoine local…jusqu’à en constituer aujourd’hui un des symboles clés, jusqu’au plus haut niveau. IL suffit de regarder des photos de Hussein père, d’Abdallah 2 et du prince Hussein pour s’en convaincre.

L’histoire du shemagh est moins politisée que celle du keffieh, elle est aussi plus méconnue. L’objet en lui-même semble tiraillé entre la réalité locale (pour faire court, tout le monde porte un shemagh rouge et blanc en Jordanie), et l’image militarisée  que véhicule le terme « shemagh » dans les contrées occidentales.

Vous voulez une preuve? ceci nous ramène à l’introduction de ce post : tapez donc « shemagh » dans votre moteur de recherche…Que trouverez vous en majorité? des dizaines d’images d’étoffe vert kaki, arborées en mode combattant, avec visage masqué.

Pourquoi? parce que dans le sillage de la Révolte arabe, cet accessoire a continué à être utilisé par les soldats occidentaux – britanniques en majorité-au cours des épisodes de guerre menées dans ces contrées désertiques au cours du XXème siècle.

Et surtout…Comment le porte-t-on ?

N’importe quel boutiquier jordanien ou palestinien sera très heureux de vous montrer la manière dont on porte le shemagh ou le keffieh. Vous trouverez sur internet des dizaines de tutos. Vous saurez ainsi comment mettre cet accessoire pour vous présenter sous vos plus beaux atours.

Alors, limitons à 2 simples vidéos la manière de porter au mieux votre keffieh/shemagh.

Pour les hommes, voici la meilleure vidéo sur la manière de porter un shemagh (une ghutra, en fait, mais c’est pareil ! ), faite par un indien musulman vivant aux Emirats (oui, oui, c’est possible ! ).

Et pour vous mesdames, voici le top de la mode palestinienne sur les 1001 façons de porter le keffieh :-) . Je l’ai trouvé sur le site Mohavy, qui n’existe malheureusement plus aujourd’hui.

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4 Comments

Dorianvrs · 7 mars 2018 at 20:34

Clair, complet…et trés bien illustré (manque juste les crédits photos 😉 ).
Question subsidiaire : au dela des aspects culturels, dans sa fonction de protection face au vent et au soleil, que donnerait un match keffieh contre chèche ? Perso, je mettrais sans doute une petite pièce sur le deuxième…

    familyinjordan · 8 mars 2018 at 07:19

    Ah, mais si il faut aussi se mettre à maîtriser le tamachek, je vais finir par me mettre en disponibilité pour tenir le blog ! 🙂 mais je garde précieusement l’idée de faire un match culture touarègue VS culture bédouine ! merci Dorian;-)

4 choses que l'on aime (ou pas) sur la Jordanie · 9 novembre 2021 at 23:00

[…] L’immersion culturelle et historique au Moyen Orient. C’en est juste vertigineux. Imaginez un peu: dans quelle autre région du globe peut on trouver les origines de 3 Religions majeures ET l’existence d’innombrables civilisations? Voyez plutôt : les grecs,les romains, les nabatéens, les ammanites, les byzantins, les acadiens,les sumériens…les omeyaddes… les abbassides…l’empire ottoman… N’en jetez plus ! De plus, nous aimons découvrir et (tenter de) comprendre toutes les subtilités d’un société tribale, dans laquelle les questions religieuses et coutumières sont de la plus haute importance .C’est pourquoi, nous passons beaucoup de temps à nous renseigner sur tous les sujets culturels présentant un intérêt. Et il y en BEAUCOUP ici….tiens, au fait, pourquoi diable le royaume est Hachémite? Et au fait, quelle est la difference entre un keffiyeh et un shemagh? […]

Tradition bédouine : lire "coutumes des arabes au pays de Moab" · 25 décembre 2021 at 21:35

[…] jours de fêtes, ils se plaisent à dévoiler leurs longues boucles, habituellement cachées sous le shemagh (le keffiyyeh).  Les femmes, elles, portent de longues tresses. La couleur préférée pour la chevelure est le […]

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