Dans notre rubrique “le mot du mois”, après le Shemagh, les Hachémites et le Muezzin, faisons plus léger ce mois-ci avec un panorama d’Amman. Ayant traversé 9000 ans d’histoire, l’actuelle capitale de Jordanie aura vu passer de nombreuses civilisations, connu plusieurs phases de déclin et d’essor. C’est aujourd’hui une mégapole de 4 millions d’habitants, soit presque la moitié de la population de Jordanie…Pas mal pour un village qui comptait encore 5000 habitants en 1925!
Amman est la capitale historique de la Jordanie
VRAI, mais….
Amman était déjà la capitale de la Jordanie à la date de son indépendance le 25 mai 1946. Le pays s’appelait alors encore la Transjordanie, et c’était elle-même une partie de la Palestine (oui, sans polémique, la Palestine, c’était grand). Amman resta ensuite fort logiquement la capitale du pays, y compris lorsque Abdallah décida en 1949 de changer le nom du pays en “Royaume Hachémite de Jordanie” , se coupant alors de la partie occidentale du Royaume, celle que l’on appelle de nos jours la Cisjordanie.
Et à vrai dire, le statut de capitale pour Amman remonte en fait à 1921. Cette année, après avoir repoussé les Ottomans au cours de la 1ère guerre mondiale, puis s’être retrouvé sous domination britannique (le fameux “mandat sur la Palestine”), Abdallah 1er obtint la reconnaissance internationale de son état, alors appelé “émirat de Transjordanie”.
Mais à l’époque, Amman était tout juste une petite bourgade, et c’était Ma’an , au sud du Pays, qui était la ville la plus importante, stratégiquement et numériquement parlant, et dont les tribus étaient très puissantes… C’est sans doute l’une des raisons pour laquelle Abdallah 1er, en arrivant à Ma’an en 1920, la déclara comme étant la première capitale de la principauté de Transjordanie…Amman n’est venu qu’après. Encore aujourd’hui, même si les villes n’ont plus grand chose de comparables (4 millions d’un côté, 60 000 de l’autre), ce sujet constitue toujours un point de friction pour certains. Ainsi, nous avons rencontré plusieurs bédouins du sud du Pays qui considèrent que Ma’an était, et doit rester, la capitale de l’ancien Emirat…
Amman est une grande ville très très très ancienne.
VRAI, mais…
Amman est une grande ville, pas de doute. Le Greater Amman Municipality (GAM) comprend ainsi plus de 4 millions d’habitants en 2018.
Elle est très ancienne, pas de doute. Des fouilles menées en 1994 ont permis de mettre à jour des traces de constructions (habitations, tours), remontant à l’âge de pierre, 7000 ans avant JC, Au passage, cela fait d’Amman l’une des villes toujours habitées les plus anciennes au monde, pas très loin derrière Jericho en Cisjordanie (-10 000 AV JC…)
Pour autant, Amman ne comptait à l’époque que quelques milliers d’habitants, comme le montre cette impressionnante photo d’époque, brillamment travaillée par le photographe Kelvin Bown, installé à Amman (nous ferons bientôt un article sur son projet “Reawakening the Past”, son exceptionnel travail de restauration de photos d’époque).
En 1925, Amman comptait 5000 habitants, et la superficie de la ville était de 2.5 km2. Ce n’est qu’après 1948 que le développement de la ville devint réellement exponentiel. L’histoire contemporaine de la ville est ainsi traversée par différentes vagues de réfugiés, qui ont contribué à façonner ce qu’elle est devenue aujourd’hui : palestiniens en 1948 puis en 1967, Irakiens en 1990, puis en flot continu depuis 2003, les Syriens depuis 2011….Amman est aujourd’hui a l’image de la Jordanie, et plus de 40% de la population n’est pas autochtone.
Pour plus de détails sur la démographie du pays, vous pouvez trouver içi un petit article que nous avions rédigé fin janvier 2018 sur le sujet.
Amman s’est toujours appelé Amman
Faux !
Le premier nom d’Amman était proche du nom actuel…Au 13ème siècle avant JC, la ville s’appelait Rabbath Ammon, et c’était alors la capitale des Ammonites. Pas les coquillages, hein ! on parle ici du peuple des ammonites. Si d’ailleurs quelqu’un parvient à établir un lien sémantique ou historique entre ces 2 types d’ammonites, qu’il ou elle laisse un commentaire, et se verra ainsi livrer un keffieh gratuit ! 🙂
Le nom de la ville et de ce peuple apparaissent ainsi à plusieurs reprises dans la bible (Deutéronome, Josué, Samuel..). Après plusieurs dominations différentes (les Assyriens, les Perses), les Grecs arrivent. C’est ainsi que le dirigeant hellène d’Egypte Ptolémée II Philadelphe, décide au 3ème siècle avant JC de faire renommer à Ville en Philadelphie. La ville fit alors partie du royaume Nabatéen (Petra, vous connaissez? ) jusqu’en 106 apr. J.-C….Ce fut ensuite l’Empire romain, puis les Ghassanides…Et ce n’est que vers 635, et suite à la fameuse bataille de Yarmouk, que la ville retrouva son nom local…devenant dès lors, et définitivement, Amman.
Prenez le temps de visiter le centre-ville d’Amman, vous retrouverez ces différentes périodes de son histoire
Amman est gérée comme n’importe quelle autre ville jordanienne
(Très) faux !
Amman, et par extension sa communauté de commune (le fameux GAM), représente tellement de poids en Jordanie, que la politique de la ville échappe largement à sa seule municipalité…et sa majesté le Roi regarde de près ce qui s’y passe. Quelques exemples concrets:
Depuis 1995, le GAM bénéficie d’un statut territorial d’exception, et le Maire d’Amman n’est pas élu, mais nommé par le gouvernement, ainsi qu’un tiers de ses conseillers municipaux. A la suite des printemps arabes de 2011, afin de contribuer à apaiser la contestation, les contraventions routières du GAM ont toutes été annulées sur ordre du pouvoir, qui s’est engagé à les rembourser (plus de 20 millions de JOD)….
Certaines règles d’urbanisme sont fixés directement par la cour. Les ammanites savent ainsi que TOUTES les habitations de la ville sont revêtues d’un parement en pierre, exception des façades en verre, et que l’on ne trouve théoriquement à Amman ni béton apparent, ni ciment…C’est un décret royal qui fixe cette règle, ainsi qu’un délai d’achèvement des travaux, l’obligation d’espacer chaque maison d’au moins 4 mètres.
Ces contraintes ont indéniablement contribué à faire d’Amman une ville relativement agréable à regarder. Pour cela, notre endroit favori est la Citadelle en surplomb de la vieille Ville , qui vous permettra de contempler les 7 collines originelles de la ville, littéralement submergées d’habitations (à parement de pierre, donc) à perte de vue .
Construire des grattes-ciel à Amman ne porte pas bonheur.
Vrai !
Si l’on met de côté ses nombreuses collines (19 aujourd’hui, 7 au départ), Amman est une capitale plutôt plate. Le risque sismique et les contraintes financières ont laissé peu de place au développement de gratte-ciels ,comme l’on en voit beaucoup en Péninsule Arabique. Quelques exceptions : le fameux “Jordan Gate”, et le quartier d’Abdali
Vous trouvez que “Jordan Gate”, ça sonne un peu comme “Watergate” ? Et bien , ce n’est pas faux….
A Amman, il n’y a que 3 immeubles dont la hauteur est supérieure à 150m : le Rotana Hotel, une belle réussite de 185 m de haut, et les fameuses Jordan Gate towers, 2 constructions jumelles sensées atteindre 200m .
Censées seulement, car leur construction,débutée en 2005, n’est toujours pas terminée en juillet 2018. Au train ou vont les choses, il est probable que (si le projet va à son terme), l’achèvement des tours aura pris plus de temps que celui du Phare d’Alexandrie (15 ans pour 135 mètres de haut, mais…au 3ème siècle avant JC ! ).
Les tours, finies à 73%, constituaient un projet de 400 millions de dollars, essentiellement sur fonds koweitis…En septembre 2006, 3 étages s’effondrèrent, causant la mort de 4 ouvriers… En mai 2009, trop chargée, une des 2 grues de 220 m de haut plia en 2 sous le poids...aucun blessé. 4 autres grues furent amenées des EAU pour démonter la première abîmée (on dirait les shadocks). La construction reprit au printemps 2017, pour s’arrêter de nouveau après quelques mois. Il se murmure que le projet est confit de désaccords entre promoteur, bâtisseur et l’état. Bref, circulez, il n’y a pas grand chose à voir.
Je ne manquerai pas de vous dire si les grues bougent de nouveau à l’avenir. Cela est mal parti, ce complexe s’étant entre temps fait damer le pion par le quartier d’Abdali et son projet soutenu par le Roi, quelques kilomètres au Nord-Est.
Il n’y a pas de politique de transports à Amman
Vrai, mais..
A cette question, les expats et les locaux répondent : “évidemment! C’est un tel enfer de naviguer ici que cela se saurait, si les transports étaient organisés !” Les touristes réagissent différemment: “Quoi ! Mais comment une ville de 4 millions d’habitants peut fonctionner sans transports organisés!”
Les deux ont raison…D’abord, à Amman, il est possible de se déplacer avec quelques moyens variés:
- des taxis (traverser la ville vous coûtera 3 JOD au maximum, et une petite course 50 fils),
- des uber ou équivalents,
- des bus (privés, municipaux, d’école, inter-cités…). Un ticket de bus, si tant est qu’il y en ait , coûte environ 1/4 JOD. Mais comme il n’y a pas de vraie ligne fixe, avec des vrais arrêts, un vrai itinéraire, des vrais horaires, il n’y a pas de vraie vérité de réussite 🙂 . Je déconseillerai donc aux nouveaux-venus de s’y aventurer, sauf à parler parfaitement l’arabe, et à avoir du temps devant soi..
Cela étant, la situation des transports en commun est réellement catastrophique, Dans les années 2000, une tentative de privatisation des bus a été lancée. Fiasco, ce qui fait qu’aujourd’hui, 61 % de cette compagnie est finalement gérée par l’Etat. A partir de 2007, devant l’iniquité et la corruption du système, une grande campagne de modernisation des transports est lancée, et l’acronyme BRT (Bus Rapid Transit) voit le jour, avec une volonté d’investissement d’un milliard de JOR sur 5 ans. Vous avez dit “Rapide”?
Ne ricanez pas trop, car c’est dans le cadre du BRT , que l’Agence Française de Développement a ainsi apporté en 2011 la somme de 65 millions d’euros. Après une première tranche de programme qui s’est quelque peu heurtée à une absence réelle de volonté, une dispersion des moyens, et, visiblement, quelques soupçons de conflits d’intérêt (soupirs…), il semble que le programme BRT soit maintenant entré en phase active. En 2017, l’AFD a ainsi de nouveau aidé à la relance du projet, en apportant un prêt de 150 millions d’euros.
Les enjeux sont importants. A Amman, le monde se divise en 2 catégories . Il y a ceux qui ont l’argent pour s’acheter ou louer une voiture (que ce soit une vieille mercedes de 1980, ou la toute dernière Tesla), et ceux qui peuvent tout juste de permettre les quelques dizaines de fils que vont coûter un A/R Amman / Zarqa en transport collectif. Et le fossé entre ces 2 mondes s’aggrave avec la crise actuelle, ce qu’ont encore très récemment montré les manifestations sur la réforme économique.
Pendant ce temps, les initiatives citoyennes se développent…Et c’est finalement grâce à une association locale , Ma’an Nasil (en arabe: “ensemble, nous arrivons”), soutenue par la plate-forme citoyenne Taqqadam, que le premier plan officieux de transport voit le jour en 2015 !
Et comme je vois d’ici les expats vivant en Jordanie hausser un sourcil interrogateur, vous trouverez ci-dessous, en exclusivité mondiale sur un blog francophone, ledit plan de transport:
Cela étant, je n’ai pas encore testé les bus, et je vous laisse vous dépatouiller avec le site internet de Ma’an Nasel- non arabisants s’abstenir :-)! En tout cas, merci à eux pour ce bel effort citoyen ! Et pour celles et ceux qui osent, laissez nous un petit commentaire pour nous dire si ça marche ! 🙂
J’ai trouvé une partie de ma documentation sur cette intéressante étude disponible en ligne, réalisée en juin 2016 par Eliotte Ducharme, le reste sur diverses sources internet.
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Et vous pouvez retrouver içi notre rubrique “le mot du mois”, consacrée au patrimoine et à la culture de la Jordanie.
Enjoy, share, and comment 🙂
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