Vous avez aimé Games of Thrones? vous adorez les westerns? L’honneur, les devoirs, la noblesse d’esprit, sont des sujets qui vous inspirent? « Coutumes des arabes au pays de Moab » est fait pour vous.

Comme les vacances sont propices aux temps de lecture, j’ai pu donc rattraper une petite partie du retard pris cette année, et me consacrer à la lecture de ce livre, consacré aux nomades vivant en Moab au début du siècle dernier.

La Moab

(Euh, il a écrit quoi? En Moab??? WTF? )

Oui, en Moab ! Autrement dit, la zone d’évolution des bédouins nomades, installés grosso modo entre le sud d’Amman (Madaba) et le Nord du Wadi Rum (Ma’an), à l’est de la Mer Morte, dans ce qui constitue le cœur de la Jordanie actuelle. Ils étaient coincés entre les Ammonites (d’où le nom d’Amman:-) ), et les édomites (pas de mauvais jeu de mot, Edom correspond au royaume de Petra, mais avant les Nabatéens)

Une belle trouvaille de lecture sur les bédouins.

« Coutumes des arabes au pays de Moab » a été publié pour la première fois en 1908. Adoubé et cornaqué par une tribu chrétienne bédouine, assisté d’un drogman (un traducteur) arabe, le père Jaussen a parcouru la Moab en long, large et en travers pendant plusieurs séjours entre 1902 et 1905. Il a pu s’entretenir avec de nombreux cheikhs, et se faire expliquer d’innombrables règles sociales, économiques, religieuses, politiques….Et autant dire que le désert jordanien au début du XXème,..c’est de l’authentique, et du rustique ! 🙂

Il s’agit donc d’une véritable photographie littéraire du monde bédouin. Dès le début du livre, on comprend le choix fait par le père Jaussen : il ne juge pas, il ne compare pas, il n’interprète pas. Il décrit, simplement, cliniquement, les us et coutumes de cette société dont les codes sont si différents d’ailleurs. Jugez plutôt:

Entrer en rapport avec les Arabes paraît, au premier aspect, une entreprise fort aisée (…). Manger une fois en passant le mouton rôti, (…) ce ne sera découvrir qu’un bien petit coin de cette existence bizarre (…) Pour recueillir des renseignements, il faudra se résigner à passer de longues heures, presque en silence, accroupi sur un tapis, sous la maison de poil qui abrite à peine des rayons du soleil. Il faudra répondre aux questions des curieux et des indiscrets; il faudra écarter les soupçons éveillés par le seul fait de n’être pas de sang arabe. »

…Ici, un aparté contemporain: ceux qui travaillent au contact d’arabes tribaux jordaniens confirmeront que cette phrase prend tout son sens au jour le jour, même si les bureaux ont remplacé les « maisons de poil » (les tentes) 🙂

Pour qui est ce livre ?

Vous pourriez vous dire – à tort – que , n’étant ni ethnologue, ni anthropologue, ni futur ministre du gouvernement hachémite de Jordanie, vous n’avez aucun intérêt à lire ce livre, puisqu’on trouve de la culture déjà prémâchée dans le Routard, le Lonely Planet, le Guide Bleu, etc…(et si vous n’avez pas encore fait votre choix, voir içi notre critique de ces guides, ils ne sont pas tous à niveau!).

Et bien, si vous habitez en Jordanie, vous devriez vraiment lire ce livre. Pourquoi? parce qu’il permet de comprendre les ressorts profonds des tribus (ceux qui connaissent le terme #wasta savent de quoi je parle 🙂 ), et que ce qui était vrai en 1905 reste un peu toujours vrai ici..certainement beaucoup dans les pensées, parfois dans les paroles, de temps en temps dans les actes .

Et si vous n’êtes que de passage en voyage touristique, vous devriez vraiment lire ce livre. Pourquoi? (1) parce qu’avant de venir dans un pays,certains aiment lire un bouquin sur le sujet avant d’y aller… (2) parce que le style est moins ampoulé que dans le survendu « 7 piliers de la sagesse » de Lawrence d’Arabie, et (3) parce qu’il ne fait que 390 pages, contre plus de 1000 pour l’ami Lawrence…

Ce livre est normalement introuvable en librairie classique. La version que j’ai acheté est disponible sur amazon, le prix indiqué dessous et le lien sont un lien direct vers leur site. Cliquez sans souci, il n’y a ni spam, ni surcoût:

Et pour celles et ceux qui sont vraiment pressé(e) s, ou qui n’ont vraiment pas 30 euros à mettre dans un livre, voici un petit top 5 des traditions bédouines

5 anecdotes sur les bédouins d’antan…(et d’aujourd’hui?)

Ces pratiques étaient en vigueur au début du XXème siècle. Certaines sont encore valides, au moins dans le principe…Cela peut faire d’intéressants sujets de discussion avec vos guides et vos amis jordaniens…Et si « coutumes des arabes au pays de Moab » était encore une réalité?

Nous sommes preneurs du retour des réponses par commentaire ou par message ! 🙂

#1 : le mariage…des noces de pierre!

Les mariages font l’objet de discussions entre les parents, qui sont seuls à conclure le contrat de mariage…le fiancé ne pourra pas voir sa  fiancée avant le mariage, et tout contact physique est interdit sous peine de sévère sanction. Les filles du cheikh (le chef de famille), font l’objet d’un traitement particulier, puisqu’elles sont « données » par leur père, au gré des différentes alliances entre tribus voisines. Mais normalement, la femme (ou, plus souvent, son père…) reçoit du futur mari un mahar, c’est à dire une dot. Son montant  est conséquent , sous forme d’argent, de lopin de terre, de vigne, de bétail….Aujourd’hui encore, les jordaniens peuvent en théorie prendre jusque 4 épouses. Cette possibilité est très peu observée ici, contrairement à l’Arabie Saoudite voisine. Pourquoi? un peu parce que les esprits ont évolué, mais surtout parce que le coût de cette dot, puis de l »entretien des épouses, est absolument prohibitif.

La cérémonie de mariage est à elle seule un poème….A vous de juger :

Quand elle a été parée de ses atours, la fiancée est installée sur une jument ou sur une chamelle richement caparaçonnée, pour être conduite auprès de son époux qui l’attend […]à la main, elle tient un poignard qu’elle s’applique sur le front pour écarter le mauvais œil. Le cortège s’ébranle […] les femmes poussent des cris de joie (lu,lu,lu), les hommes exécutent la danse du sabre […]. Seule la fiancée, immobile et invisible, paraît indifférente à la joie générale. Cette marche quasi triomphale dure plusieurs heures, parfois une journée, surtout lorsque la fiancée est amenée d’une tribu voisine. Dans ce dernier cas, il se passe une scène vraiment curieuse. Les femmes […] se réunissent, poussent des cris, ramassent des pierres, les jettent sur la fiancée, font accroupir son chameau, la traînent par terre, se mettent à la frapper; le sang coule; mais les hommes ne tardent pas à mettre un terme à ce combat féminin. La même scène se renouvelle dans chaque tribu traversée[…]… Peut-être se cache sous cet usage un vieux souvenir religieux…

Ah, et dernière chose : le soir même de son mariage, la femme DOIT s’enfuir de son nouveau chez-soi. C’est une tradition obligée. Ne vous inquiétez pas, on la retrouvera. Car si elle ne le fait pas, elle serait aussitôt taxée de fille facile, et donc déshonorée….

#2 : les cheveux et leur signification

Il est de coutume chez les bédouins de porter les cheveux longs. Lors des jours de fêtes, ils se plaisent à dévoiler leurs longues boucles, habituellement cachées sous le shemagh (le keffiyyeh).  Les femmes, elles, portent de longues tresses. La couleur préférée pour la chevelure est le roux tirant sur le rouge. Les femmes ont recours à l’urine des chevaux pour donner cette teinte à leur chevelure 😉 A la mort d’un mari, d’un père ou d’un proche parent, elles se coupent leurs cheveux. Les longues tresses sont étendues sur la tombe, ou enroulées autour de la pierre dressée autour de la sépulture.

Mais le plus surprenant, c’est que ce n’est pas que pour le deuil, mais aussi pour la vengeance, que l’on coupe les cheveux:

« Quand après un assassinat, le coupable est saisi est enchaîné, on ne le tue pas toujours […] »je te pardonne », dit le vengeur du sang. Mais avant de le renvoyer, il lui coupe les cheveux, lui rase le tour de la tête, ainsi que les tempes et le menton; il lui donne ensuite sa liberté […]. Des bédouins s’emparèrent d’un traître qui avait dévoilé à l’ennemi leur plan de campagne; ils le rasèrent complètement d’un côté, lui coupèrent la moustache de l’autre, et le laissèrent ensuite en liberté. »

Peut-être que les tontes infligées aux collabos au moment de la libération sont inspirées d’une lointaine tradition bédouine? 😉

#3 : l’hospitalité: ça ne plaisante (vraiment) pas

Une certitude : il est impossible de revenir de Jordanie sans être émerveillé de la tradition d’accueil. Les bédouins seraient-ils altruistes? Sans doute, un peu, mais la vraie raison de leur comportement s’explique par l’obligation d’accueil.

Chez les bédouins, l’hospitalité englobe deux choses : la réception, y compris nourriture, logement, et la protection. Ces 2 règles d’airain ne sont pas négociables, quelque soit les circonstances…….Comment bénéficier de l’hospitalité? simplement en rentrant dans une tente.  Ce concept à un joli nom en arabe: la dorah.  Cet accueil comprend aussi la protection: le bédouin qui offre l’accueil est garant de la sécurité de son hôte…y compris lorsqu’il a quitté le campement. C’est en grande partie pourquoi aujourd’hui, les bédouins demandent en premier à un étranger: « d’où viens-tu? ». Historiquement, il s’agit d’abord de savoir qui est l’actuel protecteur de l’inconnu arrivant dans le campement.

Une seule chose peut mettre fin à la dorah : trahir la confiance de son protecteur-hébergeur, en le volant, ou par exemple en volant une tribu alliée de celui-ci…Le livre foisonne d’anecdotes dignes de westerns, propres à faire pâlir le bon, la brute et même le truand…

Il est arrivé qu’un cheikh, venant de perdre ses 2 fils au combat, voit arriver chez lui un homme perdu. L’homme s’appelle Dereïby. Voici la suite de l’histoire:

Le maître de la tente le reçut, lui prépara le café. Il était occupé à creuser deux fosses pour ensevelir deux cadavres placés sous la tente. La fille […]passa la tête, […], aperçut Dereïby. Elle s’écria : « voici l’assassin de mes deux frères ». Son père lui imposa silence, lui reprochant son inconvenance envers un hôte; il laissa Dereïby repartir en paix.

Il se trouve que Dereïby, égaré depuis une journée dans le désert après son double meurtre, venait chercher hospitalité dans une tente trouvée au hasard…La vengeance est un plat que parfois, on est obligé de laisser refroidir.

#4 : la couardise: ça craint!

Chez les bédouins, la lâcheté est un vice inqualifiable. Les peureux sont méprisés…Lors des batailles, il peut arriver que certains s’enfuient, ou décident de ne pas secourir les compagnons qu’ils voient attaqués. Le jugement sera identique si la tentative d’aide s’apparente à du suicide. Dans ce cas là, on réserve un drôle de traitement au malheureux fuyard….

« En pleine assemblée, lorsque les hommes réunis sous la tente du cheikh discutent […], une fille […]fait dissoudre dans un vase à moitié rempli d’eau la couleur appelée nileh (indigo); elle saisit ensuite le vase avec son contenu, et vient le jeter à la face du fuyard. « Cette action lui coupe l’honneur, » dit le langage populaire. Le fuyard, le visage teint de couleur épaisse, devient la risée du campement,[…], il se retire sous sa tente, n’ayant plus le droit de paraître en public. »

Pourtant, je croyais qu’on disait « vert de trouille »? En tout cas , quand on voit combien de temps dure un simple tatouage au henné, on se doute que le visage du trouillard va rester bleu longtemps.

Il existe une variante à ce bizutage :

« Dépouiller de force des habits que porte le fuyard, pour le revêtir d’habits de femmes : ceinture, bracelets, pendants d’oreilles, rien n’est oublié. Ainsi costumé, il sera lors tourné en dérision par toute la gente féminine du camp. Il devra garder cet accoutrement jusqu’au jour ou il aura reconquis son honneur lors d’une action d’éclat…« 

#5 : vainqueurs et vaincus : vae victis!

Quand lors d’une bataille (par exemple une razzia – mot arabe! ), un chef voit sa tribu gagner, au moment où l’ennemi va être décimé, il crie pour stopper le massacre « empêchez qu’on vous tue en vous mettant sous la protection[…] ». Après s’être engagé au nom de l’honneur et de la religion, les vainqueurs donnent alors de la nourriture, de l’eau aux vaincus, et leur fournissent même des montures pour qu’ils puissent regagner leur propre tribu – elles devront bien sûr être restituées. Mais un ennemi saisi en dehors des batailles ne fait pas l’objet d’un tel traitement. Il devient alors prisonnier…pas très fun :

Le vainqueur l’amène sous sa tente , lui mets les fers aux mains et aux pieds, lui donne à peine la nourriture suffisante, et, se plaçant devant lui, il lui dit: « annonce et explique; combien as-tu de juments, de chameaux, de brebis? « […]s’il refuse de parler, son vainqueur creuse une fosse au milieu de la tente, d’un mètre cinquante de profondeur, le place tout droit dans ce trou, l’ensevelit jusqu’au cou, lui laissant seulement la terre hors de la terre; l’infortuné est maintenu en cette position jusqu’au jour où les troupeaux réclamés sont conduits devant la tente. […] Si, pendant sa captivité, il parvient à pénétrer sous une autre tente, même dans le campement où il se trouve, il bénéficie des lois de l’hospitalité; ses chaînes sont brisées, et il est reçu comme un hôte, et renvoyé chez lui avec honneur. […]C’est pour les empêcher plus surement de s’échapper qu’on les enterre jusqu’au cou. »

Ce n’est plus le far-west, mais avouez que le middle-east n’est pas mal non plus en matière d’honneur et de châtiments…



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4 Comments

la grande Véro de Bavière · 26 août 2018 at 22:21

J’avais commencé à feuilleter ce livre et en lire quelques passages quand j’étais chez vous, ça avait l’air vraiment intéressant. Là les extraits et la description me donnent encore plus envie de lire.Il va falloir que je me procure ce livre… Merci pour le lien !

    familyinjordan · 3 septembre 2018 at 06:52

    oui, c’est un livre vraiment intéressant, et tout est classé par thème. Bien sûr, il faut déjà connaitre un minimum les bédouins pour pouvoir se plonger dans sa lecture:-)

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